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HELLYWOOD

Posted by on 18 mai 2019

Hellywood est un jeu de rôles contemporain (ou historique) fantastique français de Emmanuel Gharbi et Raphaël Andere.

Ce jeu exploite le thème du Noir mais teinté de fantastique, avec des règles basées sur celles du Craps – très simplifiées.

Hellywood – un tour d’horizon

Hellywood propose de jouer en 1949 dans la ville fictive de Heaven Harbor, Californie – HH pour les intimes. Ce port maritime installé sur une longue péninsule compte plusieurs quartiers, dont certains « ethniques » : à l’ombre des tours d’affaires de Downtown, Little Italy ou Chinatown offrent une dose d’exotisme sage aux Harborians (les habitants de la ville).

Dans cette ville s’est ouvert un passage vers les Enfers en 1942, lors du fameux Jour des Cendres, duquel sont sortis des réfugiés qui vinrent chercher asile auprès de l’humanité. Passés quelques heurts initiaux, ces Cornus (comme on les a appelé) sont désormais intégrés dans la population. Golems de pierre hauts de 2,50 mètres, Succubes trop belles donc forcément fatales, Séraphins aux ailes fragiles comme du cristal ou Possédés – des cadavres animés, avec un démon dedans – vivent au milieu des humains. Mais pas forcément pour leur bien…

Les USA en 1949 ont en effet une population où les différences sociales sont très marquées : il y a les WASP (white anglo-saxon protestants) et les autres. Les Cornus se trouvent relégués dans cette « autre » partie de la population, avec les Noirs, les Hispaniques, les Irlandais, les Italiens, les Chinoix, aussi mal considérés que les homosexuels, les communistes, les japonais. Autant dire que leur quotidien n’est pas tous les jours enviables.

Hellywood : welcome to Heaven Harbor

Heaven Harbor est une grande ville un peu cosmopolite, où il s’en passe de belles… Le maire est un cavaleur, deux familles italiennes règnent sur le monde du crime, certains officiers du HHPD (la police locale) sont corrompus, les grosses fortunes tirent les ficelles en sous-mains, etc. Les opportunités sont légions, les idées de scénarios fusent à chaque page.

Plutôt qu’une description de lieux maison par maison, HH est évoquée par un de ses habitants, Terry Doyle, un ancien flic devenu « médium » (en fait, un sorcier) qui connaît les quartiers comme sa poche et en fait une description subjective, ce qu’il revendique. Avec lui on prend le poul de cette cité plutôt que de la disséquer : Doyle nous raconte la vie quotidienne dans les rues, il nous en parle en connaisseur, il nous révèle ses secrets, ses habitudes, ce qui l’a menace.

HH est une ville en train de changer et les joueurs vont accompagner cette mutation. L’autoroute doit arriver prochainement en plein coeur de la cité, les élections municipales auront lieu l’an prochain, un Grand Jury doit se réunir pour statuer sur la menace communiste, un envoyé de la mafia s’est affranchi pour ouvrir trois casinos…

Mécaniques de jeu : la création du personnage

Les joueurs et joueuses créent leurs alter-ego en choisissant deux Natures parmi une liste, Ambitieux, En Quête De Rédemption, Violent ou Golem… Le choix est vaste, il y en a une trentaine! Les Natures ne sont pas « équilibrées » en terme de jeu mais offrent toutes de quoi jouer. Chacune a un Avantage mais aussi un Inconvénient : totalement impossible qu’on te fasse confiance si tu choisis Pourri Jusqu’à l’Os… Les combinaisons sont innombrables, offrant une immense palette et partant, une immense liberté. Sans compter le passé, la profession, les origines, le statut, au choix du joueur : impossible que deux Alcoolo / Vengeur ne se ressemblent !

Un personnage est défini par neuf Caves aux noms évocateurs : trois pour des actions physiques, trois pour des actions mentales et trois pour des actions sociales, entre lesquelles le joueur répartit des points. Le choix des talents suit. Quelques détails liés à l’historique du personnage lui rajoutent encore de l’épaisseur, sans alourdir le jeu : qui il/elle connaît, quelle intensité a cette relation, de quelle fortune il dispose, etc.

Huit personnages prétirés sont proposés : ils appartiennent à une agence de détectives. Deux femmes (dont une Succube) et six hommes (dont un Golem) permettent de commencer à jouer. Entre eux, des liens plus ou moins lâches existent : il y a l’oncle de la secrétaire, le Golem doit la vie au journaliste, la patronne Succube garde auprès d’elle l’ancien patron de la boîte, etc. Chacun traîne son lot de casserolles, tous ont des liens avec des personnages importants. Un ensemble cohérent et plaisant.

Humphrey Bogart as private eye Sam Spade in « The Maltese Falcon »

Mécanique de jeu : miser et lancer les dés

Le système de Hellywood est une version simplifiée du Craps, « jeu de dés très populaire aux Etats-Unis » (sic). C’est une vraie réussite.

D’abord, le joueur mise une partie de ses caves : en fonction de l’importance de l’action en cours, la mise peut être plus ou moins grande – mais pas question de miser plus que ce que l’on a… Surtout, le choix de la cave est déterminant : plutôt physique (Punch ou Doigté) ou plutôt intellectuel (Méninges) ou social (Trogne et Bagout) ? Le joueur peut passer de l’une à l’autre, gérant ses ressources en fonction des opportunités – voir plus bas.

Puis le joueur lance deux dés ordinaires, à six faces. Les résultats peuvent sembler étranges mais une fois l’habitude prise, ce système se révèle rapide à prendre en mains. Surtout, on évite une simple dychotomie réussite/échec, en ajoutant un 50/50 souple et riche de possibilité en jeu.

Trois résultats possibles :

  • Succès sur 7 et 11. Le joueur ne perd pas sa mise, son adversaire perd le montant de la mise.
  • Échec sur 2, 3 et 12. Le joueur perd sa mise, son adversaire ne perd rien.
  • Neutre, les autres résultats. Le joueur perd la moitié de sa mise, son adversaire perd la moitié du montant de la mise.

Sachant que l’adversaire fait de même, les combinaisons sont nombreuses et les conséquences difficilement prévisibles ! Cette lente érosion peut être évitée si le joueur change de cave en cours d’action, comme dit plus haut : plutôt que de ne compter que sur ses muscles (Punch), le personnage utilise enfin sa matière grise (Méninges) pour résister à son ennemi ! Quelques détails enrichissent cette mécanique de base très simple mais efficace et terriblement en phase avec les thème et genres du jeu.

En effet, l’idée du style hardboiled (littéralement « dur à cuire ») c’est d’être le dernier debout, quel qu’en soit le prix. Le PJ y perd ses dents et on lui pête les doigts mais il est capable de se relever et d’y retourner pour être, in fine, encore en vie à la toute fin, quand la fumée se dissipe et qu’au loin, les sirènes rassurantes de la Police se font entendre.

Hellywood : scénarios et accessoires

Dans le livre de base, deux scénarios permettent de se familiariser avec le style « Hellywood » : le premier, classique, jette les PJ sur la piste d’une chanteuse disparue ; plus complexe, le second peut laisser les joueurs se poser pas mal de questions pendant longtemps. Plusieurs pistes sont ébauchées pour lancer des campagnes dans la police ou parmi les criminels.

Une énorme campagne, « La Justice Des Anges », offre douze scénarios, un par mois, pour une ample fresque à travers la ville et en-dehors. 600 pages de meurtres, de magouilles, de complots, de trahisons : un must-have ! Accusée de dirigisme, cette campagne n’en reste pas moins un monument, avec des passages somptueux. Lors du financement participatif pour la 2ème édition, un recueil de scénarios a été également publié : pzs moins d’une douzaine d’aventures ! Enfin, plusieurs revues ont proposé des scénarios supplémentaires.

Un écran (un pour chaque version) est disponible. Celui de la première édition comportait en outre deux scénarios, après un erratum et quelques pages de précisions diverses – sur les invocations, notamment – ont été reprises dans le volume des règles, lors de la réédition.

Illustration tirée du jeu

Pourquoi ce jeu me plaît tant ?

Je ne me souviens plus trop où mais la lecture d’un article sur Hellywood m’avait, à l’époque (2008 !) fortement attiré par ce jeu. Dix ans après, je n’ai jamais été déçu de ce jeu. Difficile de trouver les éléments qui plaisent, dans un jeu, de les différencier, de les trier ou de les classer. Malgré tout, voici en gros les raisons pour lesquelles Hellywood me plaît tant.

Noir et polar

Le thème de Hellywood en est le point fort : on est dans le cadre du Noir. On joue dans un univers pessimiste, qui a perdu ses illusions, où les exclus sont légions, où les faibles sont écrasés et om les méchants s’en sortent souvent – mais pas toujours. Ça me rappelle une certaine époque contemporaine, pas vous ? On y ajoute l’esthétique des films de série B, le traitement en noir & blanc, l’approche expressionniste, les codes de l’époque et on joue avec.

La présentation du genre justifie (presque) à elle seule l’achat du bouquin. Toute une partie du livre est consacrée à des conseils pour le MJ et les joueurs : titres de romans, de films ou de musiques se succèdent pour proposer des sources d’inspiration. Ce n’est pas un titre laissé seul, sans explication, en une bibliographie abstraite. Non : à chacun son petit commentaire argumenté, qui montre une réelle maîtrise de cette documentation, un goût indiscutable pour cette littérature. Et ça ratisse large : du classique Raymond Chandler à Reservoir Dogs de Tarantino, en une vaste fresque bariollée qui révèle toutes les inspirations de Hellywood.

Puis des pages et des pages pour expliquer ce qu’est le Noir et quoi en faire en jeu. On ne trouvera pas là des trucs éculés pour MJ : au contraire, toute une série de paragraphes sur les éléments typiques du genre, déclinés sous plusieurs aspects (le climmat, par exemple), montrent que les auteurs ne savent pas qu’écrire, ils ont aussi sacrément potassé leur sujet et ils savent restituer leurs analyses et connaissances. Broyer du Noir, ça s’appelle ; et ça illumine la vie du MJ qui veut créer ses scénarios.

Qui dit Noir, dit souvent (pas toujours) polar : Hellywood ne fait pas figure d’exception, qui propose les membres d’une agence de détectives privés (personnages prétirés). La police et le monde du crime sont également deux manières présentées dans le livre pour jouer. Difficile de sortir de ces clichés, pour une fois : dans un cadre contemporain, il y a peu de « grande aventure »; en ville, il n’y en a encore moins. Mais les conflits du quotidien, quelle que soient leur ampleur, implique souvent flics ou voyous – ou quelques indépendants qu’on peut sacrifier, au besoin – on est en terrain de connaissance !

Sans être un fan absolu du polar, j’ai aimé lire James Ellroy, ses romans du Quatuor Los Angeles et aussi sa biographie « Ma Part d’ombre », où il parle de sa mère assassinée, de sa vocation d’auteur, de lui ; plus quelques films, classiques ou pas, du Faucon Maltais à L.A. Confidential. Le polar, le noir, voilà de quoi jouer sans retenue ! Un meurtre, une disparition, une malette pleine de billets et on a déjà de quoi se lancer. Hellywood se referre complètement de cela. Les auteurs de Hellywood revendiquent leur inspiration auprès de ces références du Noir.

Illustration tirée du jeu

Heaven Harbor : une ville fatale

Hellywood propose une ville, Heaven Harbor, comme cadre pour les aventures. On n’est pas obligé d’y consacrer de l’attention : « la » ville peut n’être qu’une simple abstraction anonyme, avec des quartiers et des rues sans nom (le « ghetto noir »). À l’inverse, la ville peut devenir un personnage à part entière, avec ses humeurs, ses habitudes, ses jours avec et ses jours sans. Détaillée ou pas, la ville est une jungle confuse, où les PJ pourront s’échouer sur de multiples obstacles pendant leurs périgrinations.

En effet, toute ville propose un océan de relations humaines, propres à inspirer des aventures, des missions, des vengeances, sans difficulté. La ville fourmille de crapules, parmi lesquel.les se cachent de sales pourritures mais aussi des mecs biens – et inversement. On joue souvent un rôle, en ville, et c’est d’autant plus vrai dans le cadre d’une partie de jeu de rôles : il y a là comme une mise en abyme dont je ne m’étais pas rendu compte auparavant.

Heaven Harbor est multiple, avec ses quartiers « typiques » : on retrouve les grandes séparations classiques par ethnies, Chinatown, le quartier hispanique, la colline irlandaise, Little Italy… On aimerait qu’il n’en soit pas ainsi mais c’est un fait. On quitte peu (ou rarement) son quartier de naissance, il en est encore de même aujourd’hui… Heaven Harbor ne fait pas exception : c’est un monde clos, où les ghettos pullulent. On ne quitte pas cette ville, on ne parvient souvent même pas à quitter sa rue, son quartier. Chic ou miséreux, on y nait, on y vit, on y travaille, on y aime, on y hait, on y meurt.

En revanche, HH se trouve là où le MJ le désire. La Californie ne vous tente pas ? Les Grands Lacs, la Floride, le Maine vous plaîront peut-être davantage. Le climat change ? Ça vous fera des Noëls blancs, rares du côté de L.A. La localisation n’est pas précisée, collant parfaitement à l’idée de la ville-monde qui se suffit à elle-même, sans lien avec son arrière-pays (sauf exception). Par défaut, les auteurs ont choisi de rapprocher Heaven Harbor de Los Angeles, mais ils ne viendront pas vous passer à tabac si vous changer cela (sur un forum, un MJ avait positionné HH à la frontière avec le Mexique, par exemple…)

Heaven Harbor est décrite par Terry Doyle, un de ses fils, fin connaisseur de l’endroit et de ses habitants, à qui on ne la fait pas. Le cliché du flic désabusé, témoin lucide des défauts de sa ville, se déroule à longueur de pages, mais à force de lecture, ce cliché se retourne et on voit, sous la plume des auteurs (j’y reviendrai) qu’au contraire, il adore sa ville et qu’il a peur pour elle. Ce qui donne sacrément envie de l’aimer à notre tour. C’est mon cas.

Heaven Harbor est complète : il y a tout ce qui plaît, tant comme lieux où l’action peut se passer, comme la fête foraine en bord de mer ou le bidonville en bord de rivière, que comme simple décor. Villas chics sur la colline, des tours de bureaux en acier et béton, deux stades et un champ de courses de chevaux ou alignement déprimant de maisons individuelles moches, name it, you got it. Il y a même le cimetière d’avions…

On peut reprocher à HH d’être un patchwork peu original mais elle n’en a pas moins une âme, cette ville, à mon sens. Oui, on sent parfois les inspirations, les références, mais ça n’est pas très gênant. C’est si bien présenté, torturé, retourné, aménagé, que ça passe crème. Les rôlistes sont habitués à jongler avec les clichés, ici comme ailleurs. Les différents quartiers sont tous des versions de lieux connus? C’est évident ; et alors ? Chinatown reste un quartier ethniquement défini, qu’il se trouve à L.A. ou à HH. Quelle importance… La vraie originalité déroute si souvent, en vrai.

Ce sont ses habitants qui « font » le quartier. Hellywood nous offre des portraits terriblement riches de ceux qui peuplent cette ville. L’ambiance générale des lieux transparaît dans ces pages, qui offre de quoi brosser rapidement une « trogne » à la volée. Parfois il faut gratter un peu pour repérer une information, du fait de ce choix de narration descriptive, mais le jeu en vaut la chandelle. La description du quartier irlandais et de ses truands puis celle de Little Italy et de ses mafias sont très différentes, comme le sont les deux réseaux criminels…

Heaven Harbor en 1949

Hellywood n’est pas, pour moi, un jeu historique : il se déroule dans une période du passé, la fin des années 40, mais c’est bien tout. Censé se dérouler en 1949, le jeu est assez peu daté : on est là pour jouer au tough guy comme dans les films de gangsters. Chapeau mou et imperméable, voitures immenses aux ailes enveloppantes, TV énormes en noir & blanc, pin-ups façon chromo : quelques clichés esthétiques permettent de se croire à l’aube des années 50 mais en vrai, on est dans un temps incertain, propre à se déplacer sans trop de peine. Une adaptation à la fin des années 30 ne serait pas très compliquée ; projeter le jeu en 1959 ne changerait fondamentalement pas grand chose.

De la même manière que Heaven Harbor, une ville-monde globale, présente un univers en soi, seul son propre temps compte vraiment – et il est peu précis. On est « à la veille des élections », J. Edgar Hoover est à la tête du FBI (il l’a été pendant 48 ans !) et il fait la chasse aux communistes. Il y a bien un ancien nazi qui traîne mais on ne parle même pas de la guerre de Corée. Aucune crainte à avoir : on ne va pas vous chercher des noises parce que vous commettez une erreur de chronologie…

Qui se soucie du président des USA quand il est en butte à un gang hispanique violent, dans le cadre d’une histoire de prêt pas remboursé ? Qui veut connaître le nom du gouverneur de l’état de Californie alors qu’il enquête sur les vrais coupables du meurtre ? Quand les balles piaulent au-dessus de la tête des détectives Ed Exley et Bud White, dans les ruines du motel, se soucient-ils du nom de leur élu à la chambre des représentants ?

Heaven Harbor, c’est aussi un pan du rêve américain, pas un cloaque immonde non plus. Que la corruption des âmes se reflètent dans les chromes des grosses bagnoles du temps, soit ; mais ces chromes brillent sous un beau soleil – après tout, on est aux USA ! Les hommes élégants portent des chapeaux italiens, même s’ils cachent leurs poings ensanglantés au fond de leurs poches. Les jupes plissées des dames sont gonflées par des jupons immaculés ; qu’elles soient victimes ou bourreaux, elles n’en sont pas moins à la mode. Ah, les Années 50…

Disons qu’il y a un gros côté historique tout de même, en ce que les comportements étaient tout de même très différents il y a 70 ans. Mai 68 n’était pas encore passé par là et les relations sociales étaient empreintes de ce « vieux fond de jeu social » dont parlent les règles : respect de l’autorité, galanterie teintée de mysogynie, obéissance au supérieur voire soumission, bref on ne rue pas dans les brancards, sauf quand la tension monte. Des joueurs soucieux de cet aspect en seront ravis, les autres joueront comme ils le voudront… Ne serait-ce que dire « j’enlève mon chapeau devant la veuve » suffit pour faire genre.

Dans ma vision, Hellywood est un jeu « basse intensité » : un meurtre est déjà un choc important, deux c’est un traumatisme, trois c’est l’Apocalypse. Romans et films de l’époque en restent à peu près à ce format. Pas la peine, comme pour notre époque blasée, de rajouter des flots d’hémoglobine ou des piles de cadavres dans une série en prime-time sur la première chaîne – que dire des films d’horreur! C’est la petite chose qui me gêne avec La Justice Des Anges et son histoire de tueur en série. Mais on est là dans le domaine du détail : chacun sa vision. Et les tueurs aux petites annonces (Raymond Fernandez et Martha Beck) ont tué environ 20 femmes entre 47 et 49…

Craps or not Craps : des règles simples mais pas simplistes

Les règles de Hellywood se révèlent fichtrement bien tournées, à l’usage. Un peu difficile à prendre en mains et doser, cette adaptation du Craps colle vraiment bien au genre, d’après mes joueurs et moi. Bon, un combat un peu touffu ou une fusillade en règle révèle vite ses limites, mais avec un peu de bouteille, on peut tout de même se faire plaisir et – reconnaissons-le – il y a peu de jeux où un gros combat se joue vite. Le tout, c’est de ne PAS concevoir les différentes phases comme des rounds classique, 3 ou 6 secondes, avec rangs d’actions et autre attaques d’opportunité : on n’est pas à D&D ! Le MJ doit proposer des « moments », lors desquels les joueurs misent et lancent les dés, plutôt qu’une succession de phases.

J’ai déjà proposé ce jeu pour de l’initiation lors du festival Alchimie du Jeu, à Toulouse : en deux heures de jeu, des gens qui ne savaient rien du JdR en général ni de Hellywood en particulier, s’étaient approprié le système. Remarquablement souple, il repose pas mal sur le MJ, c’est vrai, mais les joueurs jonglent rapidement avec à leur avantage. Le forum de John Doe proposait aussi des aménagements de règles très tentants, qui reprenaient le système des caves pour l’adapter à des éléments de décor. Jouer du cyberpunk avec le système de Hellywood était même évoqué et c’était sacrément tentant.

Les relations humaines sont bien mises en avant, avec pas mal de talents qui se rapportent à cet aspect du jeu. Après tout, parmi les 9 caves, dont 6 qui servent pour mener des actions, il y en a 3 qui concernent les affrontements sociaux… On peut mettre out un adversaire par la parole, dans ce jeu, KO debout à force de se faire river son clou. Sans oublier la notion de Statut. Quand on est petit bras, on ne va pas chatouiller le commissaire ou le capo en temps normal ; mais quand ça défouraille à tous les étages, on ne prend plus de gants et on va passer à tabac l’adjoint au maire ou le chanteur vedette ! Frein salutaire pour les joueurs les moins subtils et outil très utile.

Les petites astuces proposées pour pimenter le jeu sont toutes fort à propos : le flash-back offre au joueur un gros plan sur son tough guy en évoquant son passé ; permettant de relancer un jet décevant, les FBP s’accumulent, attention au retour de flamme ! La roulette russe pour les situation désespérée ne m’a jamais servi, mais sait-on jamais (je suis trop gentil).

Une Pin-up avec des cornes : le fantastique de Hellywood

Le côté fantastique apporte un plus indéniable à Hellywood. Je pensais l’ôter, je ne peux plus m’en passer. Oui, il y a des démons en ville ; mais non, les pires ne portent pas de cornes ni ne sortent du Dédale. Les Asservis, les Cornus, les invocations, tout ça ne sert qu’à révéler le pire en l’homme. Les auteurs le répètent plusieurs fois : ce fantastique est là pour se rajouter à la pourriture proprement humaine. Les démons ne sont pas la cause des mauvais comportements des Harborians, au contraire : la cupidité, la lâcheté, la corruption étaient là bien avant le Jour des Cendres.

En outre, c’est du fantastique contemporain. Pas de boule de feu ou assimilé ! Mais on a plutôt une petite voix qui sussure à l’oreille, un « gros coup de bol »soudain ou un petit coup de pouce au bon moment. Sachant que les démons ne font rien que l’invocateur pourrait faire lui-même en se donnant un peu de mal, le MJ peut vite calmer les joueurs les plus avides de power gaming. Les pouvoirs se donnent en échange de votre âme, ne l’oubliez pas. Alors, pendant la négociation, jouez serré : pour dîner avec le Diable, il n’y a pas de cuillère asez longue.

La tentation est grande de mettre du fantastique partout. À mon idée, c’est un contresens. Les Asservis sont sur la corde raide : impossible de se lâcher, pour eux, sans attirer l’attention de leurs maîtres démoniaques, capables de détruire la réalité sans même s’en rendre compte (d’après Terry Doyle). Mais impossible de ne pas jouer avec les sentiments humains, peur, convoitise, colère, rancune, dont ils sont si friands ! Ils maintiennent le statu quo, vaille que vaille, comme de banals patrons millionnaires qui pressurent leurs employés mais pas trop pour ne pas déclencher de grêve.

Les Cornus sont là pour être victimes ou coupables, ni plus ni moins que les mortels. Plus cantonnés (par les contingences) que voués (par nature) à certains jobs ou positions sociales, ce sont des gens qui aspirent à leur part du rêve américain, comme tout le monde ! Mais on ne se trouve pas toujours du mauvais côté de la loi par choix : quand on est exclu des meilleures places, on prend ce qui se présente, pour le pire ou le meilleur. D’ailleurs, les Cornus ne sont pas plus à plaindre : encore plus mal vus qu’eux, ça se trouve… C’est dire.

Illustration tirée du jeu

Un sacré coup de crayon et une très jolie plume

Le livre des règles de Hellywood, tant sa première édition que la seconde, donne envie de se lancer, de jouer, de créer : les illustrations très évocatrices y sont pour beaucoup. Celle du Grumph pour la V2 sont marquantes pour son utilisation de larges aplats de noir ; celles de la première édition, dont je ne connais pas l’auteur, brillent par un usage du blanc très maîtrisé. Les deux écrans sont tout aussi riches : petite préférence pour le premier, avec sa vue en plongée depuis un escalier de secours métalique, à mon idée une évocation de la cage d’ascenseur d’Angel Heart.

Un oeil exercé pourrait remarquer que ces dessins sont parfois des reprises de films ou de photos, dans les deux éditions. Qu’importe. On a là de la belle image, du bon travail d’illustration, au sens propre. Non pas seulement décorer mais offrir de quoi stimuler l’imagination, donner un ton général à l’oeuvre, offrir de l’inspiration.

La grande cohérence dans la création visuelle participe de cette réussite, à tel point que, à titre personnel, je ne me retrouve pas dans les illustrations de la version anglaise du jeu (dévoilée lors du financement participatif). Cette sélection de créations artistiques collent à mon sens très bien au jeu : sombre, élégant, concentré sur l’essentiel, laissant l’imagination combler les béances obscures des images.

Quasiment tous les PNJ ont leur portrait, terriblement évocateur malgré leur petite taille. Encore un excellent travail : saisir une personnalité en si peu de place, chapeau l’artiste ! Ça donne l’idée de tourner les pages, tomber sur un type page X, en choisir un autre page Y et une femme – forcément fatale – page Z et d’imaginer l’histoire qui les lie tous. Là aussi, ça surprend un peu de trouver la bobine de JFK pour représenter Patrick Kelly, mais basta ! Mr Clay sous les traits de Robert de Niro, quelle évidence !

Et quelle écriture… Emmanuel Gharbi réussit à décrire les dizaines de PNJ en quelques lignes seulement. Le résumé de leur comportement à l’économie donne tout de même des interlocuteurs crédibles. Ce ne sont pas des profils détaillés mais ils sont largement suffisants, sans être réduits à des stéréotypes banals. Il y a là beaucoup d’inspiration glissée en peu de place : chapeau. Les liens entre ces acteurs importants – ou pas ! – de Heaven Harbor donnent de l’épaisseur, de la chair, à cette ville, révèlent ses problèmes, évoquent son futur.

On a de tout : du maire au clodo, toute une palette de résidents s’offre au MJ. Il n’y a plus qu’à peupler les scénarios de ces flics, chanteuse à la mode, patron de bar ou milliardaire. Acteurs principaux de l’intrigue ou simples spectateurs, ils ont tous leur notice, même si leur poids en ville est négligeable. Mention spéciale pour Suzie Lefferts, l’ange déchu qui tient un bar sur le port : si Terry Doyle était un mec bien, il ferait d’elle une femme honnête… C’est à de petits détails comme cette phrase, quasiment copiée du jeu, que l’on voit la qualité d’écriture de Hellywood. Inspiré d’un genre éminemment littéraire, ce jeu ne pouvait se permettre d’être mal écrit : ça n’est pas le cas, au contraire.

Illustration tirée du jeu

Pas de redite, aucun mot inutile, un style clair qui ne laisse pas de zones d’ombre à la lecture. C’est clair, net et à la fois agréable à lire. Pas de doute : les auteurs, Emmanuel Gharbi et Raphaël Andere ont une sacré bonne plume. Idem pour la partie « règles du jeu » : pas de point obscur ou laissé dans le flou (même si on aurait apprécié, justement, un peu plus de détails sur certains points), chaque élément a son paragraphe. Les exemples sont utiles, là aussi on va droit au but, rien n’est inutile. On sent la contrainte en terme de place mais le format John Doe est ainsi fait.

C’est aussi dans la partie d’analyse du genre Noir et de conseils pour écrire des scénarios que le talent des auteurs se reconnaît, à mon sens. La connaissance des textes listés est réelle, présentée sans prétention mais en termes efficaces, toujours avec le souci de la sobriété et de l’efficacité. Quelques encarts complètent des points précis sans excès : tout y est, pas la peine de multiplier les textes en marge ou encadrés.

Un exemple de scénario à peine détaillé se trouve même être sacrément bon, impliquant en quelques lignes le gros bonnet qui tient les casinos. Dommage qu’il ne soit pas plus développé ! Idem pour la gestion du fantastique, un point particulièrement soigné vu la difficulté à doser cet aspect en jeu. Le soin mis à donner une vision exploitable en jeu ne laisse pas moins la place pour de l’interprétation, offrant une grande liberté aux utilisateurs – allant même jusqu’à admettre que cette partie du jeu peut être ôtée complètement.

Hellywood est disponible – 49€ (un jeu John Doe Editions)

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